Madame ROLAND et Madame SAINTE - AMARANTE
ROLAND (Manon-Josèphe Philopon, dame), femme de Roland de la Platière (Jean-Marie, ministre de l’intérieur sous Louis XVI et sous la république) devenue fameuse par ses ouvrages et surtout par ses opinions, naquit à Paris en 1754 d’un graveur en taille-douce. Elle reçut une éducation soignée, fit des progrès rapides dans l’histoire et les beaux-arts, et montra de bonne heure un caractère décidé. Elevée au milieu des tableaux, des livres et de la musique, elle aspira dès son jeune âge à un rang que sa condition et son peu de fortune lui semblaient refuser. Une imagination vive et un cœur ardent donnèrent d’ailleurs à son caractère une tournure singulière, tandis que son esprit nourri des lectures les plus propres à l’enflammer, la porta à cet amour pour la philosophie et pour l’indépendance qui ne furent pas l’une des moindres causes de sa perte et de celle de son époux. Elle se vante d’avoir voulu, dès l’âge de 9 ans, analyser Plutarque, et à 16 ans elle avait, dit-elle, une érudition assez étendue, se connaissait en peinture, et était une excellente musicienne. Les Vies de Plutarque lui avaient inspiré de son propre aveu des idées républicaines ; des idées religieuses la dominèrent ensuite ; elle entra chez les dames de la congrégation au faubourg Saint-Marceau. De retour dans la maison paternelle, elle reprit ses premiers exercices et étudia la physique et les mathématiques. Ayant perdu sa mère, elle se chargea à l’âge de 21 ans, de tous les détails du ménage de son père, partageant son temps entre ces soins domestiques et la lecture des philosophes. Elle fit pour elle-même un petit recueil de ses essais, composa, par forme de passe-temps, un Sermon sur l’amour du prochain, une critique de Bourdaloue (1), et même un Discours pour l’académie de Besançon, qui avait mis au concours cette question : Comment l’éducation des femmes peut-elle contribuer à rendre les hommes meilleurs ? Roland de la Platière ayant fait sa connaissance, fut enchanté de son esprit, lui adressa ses Lettres sur la Suisse, l’Italie, etc., et l’épousa en 1780 : il était alors inspecteur des manufactures. Sa femme le suivit à Amiens, où elle cultiva la botanique, et composa un herbier des plantes de la Picardie. Madame Roland fit ensuite des voyages en Suisse et en Angleterre, porta son attention sur ces deux gouvernements, et se passionna dès lors pour les principes de liberté qui en formaient la base. La révolution arriva et Madame Roland crut y voir un moyen d’introduire en France ce mêmes principes. Elle ne tarda pas à faire partager ses opinions à son époux, sur lequel elle avait un empire absolu. Ils se trouvaient alors à Lyon, . Elle prit part avec lui à la rédaction du Courrier de Lyon, et y donna entre autres articles, la Description de la fédération lyonnaise du 30 mai 1790. Elle fit vendre à plus de 60.000 exemplaires le n°où elle se trouvait insérée. Quoique madame Roland ne pût pas se dissimuler que les talents de son mari ne pouvaient guère s’étendre au-delà de ce qui concernait l’industrie commerciale, elle sut le persuader qu’il pouvait prétendre à une place plus éminente dans la société. Elle parvint à le faire nommer par la ville de Lyon député extraordinaire aux états-généraux, afin d’obtenir un secours pour le paiement des dettes de cette ville. Elle reçut dans sa maison tous les chefs du parti populaire, et les députés de la Gironde les plus en crédit. Ces législateurs orgueilleux, cédant à l’empire d’une femme, écoutaient avec déférence les avis de madame Roland, qui devint l’âme de leurs délibérations. Elle était le puissant ressort qui les dirigeait, et la puissance secrète, d’où émanaient les innovations qui préparèrent tant de maux à la France. Avec de tels amis, elle n’eut pas de peine à faire nommer son époux au ministère de l’intérieur ; mais elle trouva là un écueil où échouèrent ses talents, qui n’étaient pas ceux d’un diplomate et d’un publiciste. Roland, conduit pas les conseils de sa femme, ne fit que des fautes : tout en humiliant la cour, il indisposa les jacobins et ne fit rien de remarquable pour le parti de la Gironde. Il était connu que madame Roland contribuait beaucoup à la rédaction de tous les actes et projets de ce ministre. Son époux étant devenu ministre une seconde fois, madame Roland s’attacha exclusivement au parti des girondins, et fit commettre à cet époux imprudent et docile de nouvelles fautes que ses ennemis ne tardèrent pas à relever. Dans les libelles qu’on lançait sur lui, on n’épargnait pas sa femme : elle fit même l’objet d’une dénonciation qui lui procura l’occasion de faire briller son éloquence. Elle parut à la barre de la Convention, le 7 décembre 1792, prononça un long discours, et triompha des dénonciations . Cependant le parti qu’elle suivait fut écrasé par les jacobins ; et son mari impliqué fut contraint de se sauver en Normandie. Elle crut pouvoir rester dans la capitale. Son imprudence lui fut funeste. Arrêtée et enfermée à Sainte-Pélagie, madame Roland réclama inutilement contre cet acte. Après cinq mois de captivité, elle fut transférée à la Conciergerie. Traduite devant le tribunal révolutionnaire, elle fut condamnée à mort comme ayant conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la république. Elle subit son interrogatoire, entendit son arrêt avec un courage stoïque, et marcha à la mort avec l’ironie et le dédain sur les lèvres. Arrivée à la place Louis XV, elle s’inclina devant la statue de la liberté, et s’écria : « O liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Avant de recevoir le coup fatal, elle annonça que son mari ne pourrait lui survivre. Elle fut exécutée le 8 novembre 1793, à l’âge de 39 ans. Le 16 novembre de la même année, à six heures du soir, son époux s’éloigna de Rouen où il avait trouvé asile, s’assit contre un arbre, et se perça avec une épée à canne dont il était pourvu.
Madame Roland a laissé plusieurs écrits : des Opuscules sur la mélancolie, sur l’âme, la morale, la vieillesse, l’amitié, l’amour, la retraite, et sur Socrate. Voyages en Angleterre et en Suisse. Ces ont été réunis à ses Mémoires , qu’elle écrivit en prison, et qui traitent de sa vie privée, du ministère de son mari et de son arrestation, etc ; ceux-ci furent publiés d’abord par M. Bosc, après la terreur, sous le titre d’Appel à l’impartiale postérité, Paris, 1795 et ensuite par M. Champagneux, Paris 1800, 3 volumes.
1) Louis né en 1632. Prit l’habit de jésuite en 1648. On l’appelait le Roi des prédicateurs et le prédicateur des rois. Il mourut le 13 mai 1704, admiré de son siècle et respecté même des ennemis des jésuites.
SAINTE-AMARANTE (J.-F.-L. Demier) fut une des nombreuses victimes de la Révolution. Cette dame était née à Saintes, et domiciliée à Crécy. Son attachement pour la cause royale l’avait rendue suspecte. Sous la Terreur, elle fut arrêtée et traînée en prison avec ses deux enfants. Transportée à Paris et enfermée à la Force, un scélérat nommé Arnaud se présenta à elle, et madame de Sainte-Amarante feignit de ne pas le connaître. Il se vengea de ce dédain d’une manière bien cruelle, et la fit condamner avec ses deux enfants. Traduite devant le tribunal révolutionnaire, elle fut condamnée à mort. Tous les détenus pleurèrent cette famille, et les deux enfants surtout arrachèrent les larmes des cœurs les moins sensibles, lorsque, ayant appris qu’ils partageraient le sort de leur mère, ils s’écrièrent avec des transports de joie, et la serrant dans leurs bras : »Ah, maman ! nous allons mourir avec toi ! » Un de ces enfants était une demoiselle ; et le farouche Fouquier-Tainville, qui voulut être témoin de leur départ, indigné de la fermeté des deux femmes : « Voyez, dit-il, comme elles sont effrontées ! Il faut que je les voie monter sur l’échafaud, pour m’assurer si elles conserveront ce caractère, dussé-je me passer de dîner. » la mère et les enfants furent exécutés, le 17 juillet 1794, dix jours avant la chute de Robespierre, et jusqu’au dernier moment, ils montrèrent le plus grand courage.