Madame GEOFFRIN
GEOFFRIN (Marie-Thérèse RODET, Mme), Née en 1699 à Paris, morte en 1777. Fille d'un valet de chambre de la Dauphine, elle reçut peu d'éducation. On la maria à l'âge de quinze ans, avec Geoffrin, riche bourgeois, l'un des fondateurs de la manufacture des glaces. Elle resta veuve, et maîtresse d'une grande fortune, à l'aide de laquelle elle tenta de se créer un salon. Ses deux qualités principales étaient la bonté et le bon sens, avec plus de goût et de finesse d'intelligence que ne l'aurait fait supposer son instruction première. C'est dans la société de Mme de Tencin qu'elle chercha d'abord à se choisir des habitués, et quand cette dame fut morte, elle lui succéda tout à fait dans ce rôle de protectrice des lettres, "mais, dit M. Villemain, comme une bourgeoise succède à une princesse." N'aimant pas les sociétés trop nombreuses, ni les conversations trop variées, où il y eût été moins facile de placer ses observations, elle divisa les habitués de son salon en trois catégories. Le soir, elle recevait les personnes de la noblesse ; le lundi, elle avait à dîner les artistes; le mercredi, les gens de lettres et les savants. parmi ces derniers on cite principalement Diderot, D'Alembert, Marmontel, etc. A l'imitation de Mme de Tencin, qui chaque année faisait, par plaisanterie, cadeau de deux aunes de velours à chacun de ses habitués, elle donnait une calotte de velours à chacun de ses convives du mercredi. Mais elle était pour eux, surtout pour les encyclopédistes, d'une générosité à toute épreuve, donnant à plusieurs des pensions annuelles, offrant à d'autres des présents, des sommes considérables, des ameublements complets. On lui a reproché d'apporter trop de despotisme dans la tenue de son salon et de gouverner ceux qu'elle recevait comme des protégés, de les gronder et de les régenter. Quand une conversation ne lui plaisait point, elle y coupait court par ces : "Voilà qui est bien." Elle causait elle-même du reste avec une familiarité originale, qui ne tombait pas dans le trivial. Elle écrivait de même, comme on en peut juger par les quelques lettres qui nous restent d'elle dans divers recueils. Sa réputation devint européenne. D'illustres étrangers, Horace Walpole, Hume, Gibbon, la fréquentèrent et furent ses amis. Le roi de Pologne, Stanislas Poniatowski, dont elle avait payé les dettes durant son séjour à Paris, l'invita à l'aller voir à sa cour de Varsovie. Elle était âgée alors de soixante-sept ans, et quitta Paris pour la première fois. L'empereur d'Allemagne se porta à sa rencontre pour la voir, l'impératrice reine l'invita à sa table à Vienne ; Poniatowski, qui lui avait fait préparer une chambre exactement semblable à la sienne, l'entoura de ses prévenances ; l'impératrice de Russie fit pour l'avoir à Saint-Pétersbourg de pressantes sollicitations, auxquelles elle eut bien de la peine à résister. Cependant la bourgeoise Geoffrin ne fut jamais reçue à la cour de Versailles.. Marmontel, dans ses Mémoires, a parlé peu favorablement de son caractère.. Palissot l'a ridiculisée dans sa comédie des Philosophes. D'Alembert, Thomas et Morellet ont écrit chacun son Éloge.
Cf. Bachaumont : Mémoires secrets, mai-novembre 1776 ; - Eloges de Mme Geoffrin (Paris, 1812, in-8) ; Villemain : Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle ; - Sainte-Beuve : Causeries du lundi t. II.