Madame d'EPINAY
ÉPINAY (Louise-Florence Pétronille TARDIEU DESCLAVELLES, Mme de LA LIVE d'), femme auteur française, née vers 1725, morte le 17 avril 1783. Son père, brigadier d'infanterie, fut tué en 1735, au service du roi. A l'âge de dix-neuf ans, elle épousa son cousin d'Epinay, l'aîné des fils du fermier général de La Live de Bellegarde. Les premières années de cette union furent heureuses mais bientôt une séparation eut lieu, ayant pour motif les prodigalités du mari. Mme d'Epinay, qui fréquentait les salons littéraires de l'époque et recevait elle-même des écrivains illustres, se lia d'amitié avec Jean-Jacques Rousseau. Elle fit construire pour lui , près de son parc de la Chevrette dans la vallée de Montmorency, l'habitation restée célèbre sous le nom d'Ermitage. mais bientôt Grimm, que Rousseau avait présenté à sa bienfaitrice, entra dans l'intimité de celle-ci et se tournant contre Rousseau, parvint à le forcer de quitter ce séjour (15 décembre 1757). Il est difficile de dire jusqu'à quel point Rousseau, dans ses Confessions, a exagéré les torts de ses ennemis, et si ses récriminations contre Mme d'Epinay sont justifiées. Celle-ci se mit à vivre dans la retraite, entourée d'un cercle restreint de lettrés et de philosophes. D'une figure peu régulière, mais gracieuse, avec de l'esprit et un fond de sérieux, elle valait mieux que sa réputation, compromise par quelques années de légèreté. "Ce qui distinguait l'esprit de Mme d'Epinay, dit Grimm, c'était une droiture de sens fine et profonde. Elle avait peu d'imagination ; moins sensible à l'élégance qu'à l'originalité, son goût n'était pas toujours assez sûr, assez difficile ; mais on ne pouvait guère avoir plus de pénétration, et un tact plus juste, de meilleures vues avec un esprit de conduite plus ferme et plus adroit."
On a d'elle : Mes moments heureux (Genève, 1752, in-12) ; Lettres à mon fils (Genève, 1758, in-8) ; les Conversations d'Émilie (Paris, 1774, 2 vol. in-12, souv. réimpr.), ouvrage un peu froid, mais judicieux et bien écrit, composé en vue de l'éducation d'Émilie de Belzunce, petite-fille de l'auteur, et auquel l'Académie française décerna, en 1783, le prix fondé par Montyon, enfin et surtout Mémoires et correspondance (Paris, 1818, 3 vol. in-8).
Mme d'Epinay avait eu l'idée d'écrire une sorte de roman qui fut, sauf le déguisement des noms, le récit de sa propre vie. Elle en laissa le manuscrit à Grimm, qui ne le publia pas. Le libraire Brunet, entre les mains de qui il tomba, y démêla habilement la réalité sous la fiction apparente : les noms véritables furent restitués, quelques longueurs et hors-d'œuvre supprimés, et il ne resta de l'invention romanesque que le début, dans lequel l'auteur a supposé qu'un tuteur racontait l'histoire de sa pupille. Ainsi fut faite la première édition, suivie de deux autres dans la première année. "En ne voulant écrire qu'un roman, dit M. Sainte-Beuve, Mme Epinay s'est trouvée être le chroniqueur authentique des mœurs de son siècle. Son livre se place entre celui de Duclos, les Confessions du comte de***, et le livre de Laclos , Les liaisons dangereuses mais il est plus dans le milieu du siècle que l'un et que l'autre, et il nous offre un tableau plus naturel, plus complet, et qui en exprime mieux, si je puis dire, la corruption moyenne."
Musset-Pathay a publié des Anecdotes inédites, pour faire suite aux Mémoires (Paris, 1818, in-8). Les Lettres de Mme d'Epinay, adressées à Rousseau, Voltaire, Buffon, d'Alembert, Diderot, Richardson, l'abbé Galiani, etc., se retrouvent dans ses Mémoires et dans la Correspondance inédite de l'abbé Galiani, publiée par Barbier (Paris, 1818, 2 vol. in-8). Les Mémoires ont été rééditées par L. Enault (Ibid., 1863, 2 vol. in-8). M. Challemel-Lacour a donné une édition des Oeuvres (Ibid. 1869, 2 vol.).
Cf. Grimm : Correspondance ; - J.-J. Rousseau : Confessions ; -Musset-Pathay : Examen des Mémoires, en tête de son édition des Anecdotes ; - L. Enault : Etude sur la vie et les œuvres, en tête de son édition des Mémoires – Sainte-Beuve : Causeries du lundi, t.II.