Clotilde l'inspirée
LABROUSSE (Clotilde - Suzanne Courcelles de), naquit à Vauxin, dans le Périgord, le 8 mai 1747, d’une honorable famille ; Dès son plus jeune âge elle donna dans un mysticisme exalté, et pratiqua des mortifications extraordinaires. Couchée sur le dos, elle passait des journées entières à contempler le ciel, et, pour y monter plus tôt, elle tenta, âgée de 9 ans, de s’empoisonner en avalant des araignées. Cette espèce de folie ne fit que s’accroître. Comme elle avait un teint très animé, la jeune Labrousse appliquait la nuit, sur son visage, de la chaux vive, se flattant ainsi de faire disparaître des rides et des cicatrices ; mais le remède ( à ce que dit l’auteur de sa Vie) n’opéra point, et ne fit pas même disparaître ses beaux coloris. Elle inventa alors un autre genre de tourment, et remplit non seulement son lit, mais ses souliers de petits cailloux, de sorte qu’elle ne pouvait pas faire un pas sans ressentir des douleurs très aiguës. Elle aimait naturellement la bonne chère ; pour réprimer sa sensualité, elle avait toujours dans sa poche un cornet rempli de cendres mêlées avec du fiel et de la suie, et quand elle était à table, elle en jetait sur les mets qui lui paraissaient les plus délicats. Outre cela, Clotilde portait toujours dans un flacon de l’eau mêlée avec du fiel de bœuf ; elle le flairait souvent, buvait même de cette eau, qui lui écorchait le gosier et lui occasionnait une extinction de voix. Du reste, ajoute le même auteur, sa santé allait toujours son train. Ayant pris l’habit des tiercerettes, ou religieuses du tiers-ordre de Saint-François, la méditation, le jeûne et la solitude exaltèrent encore davantage son imagination : elle se crut définitivement inspirée, et destinée à parcourir le monde pour convertir les hérétiques et les pécheurs. Elle en fit part à ses supérieures, les assurant qu’elle en avait reçu la mission de Dieu lui-même, dans des révélations et des communications extatiques. Cependant ses supérieures furent assez prudentes pour s’opposer à ce projet. Ne sachant que faire de mieux, elle écrivit sa Vie, et soumit cet ouvrage à M. de Flamarens, évêque de Périgueux, qui ne parut pas y prêter grande attention. Il n’en fut pas ainsi du prieur de la chartreuse de Vauclaire, appelé dom Gerle : ayant lu cet écrit, que le hasard fit tomber, en 1759, entre ses mains, il devint enthousiaste de mademoiselle Labrousse, et s’empressa d’entamer une correspondance épistolaire avec elle. C’est à ce religieux qu’elle dût sa première réputation d’inspirée et de prophétesse. Il assura quelque temps après, qu’elle lui avait prédit qu’il serait membre d’une assemblée nationale, et qu’elle avait également prédit la révolution française. Quand celle-ci éclata, mademoiselle Labrousse trouva un autre admirateur dans M. Pontard, évêque constitutionnel de la Dordogne. Il appela mademoiselle Labrousse à Paris. Les couvents ayant été supprimés, elle se rendit à l’invitation et alla loger chez une dame de haut rang, la duchesse de B… Mademoiselle Labrousse commença à remplir sa mission en prêchant et prophétisant en faveur de la constitution du clergé contre la cour de Rome. Dom Gerle devenu membre de l’assemblée Constituante, comme elle l’avait prédit, parla dans cette assemblée en faveur de la prophétesse, mais on ne voulut point l’écouter. De retour dans son pays, elle médita un grand projet : c’était de se rendre à Rome, pour prêcher aux cardinaux, et au pape lui-même, les principes de fraternité, liberté, égalité. Outre cela elle devait engager le Saint Père à faire l’abdication de sa puissance temporelle. Mademoiselle Labrousse entreprit donc ce voyage, pendant lequel elle prêchait sur les routes publiques, da,ns les villes les villages, les clubs, les églises. Elle arriva à Bologne en août 1792, et elle ne pouvait choisir une ville dont le peuple fût moins crédule et plus porté à la plaisanterie. Mademoiselle Labrousse y essaya ses prédications ; on n'y répondit que par des sarcasmes. Le cardinal légat mit un terme à cette comédie, en chassant l’inspirée, qui passa à Viterbe, où des ordres avaient déjà été donnés pour l’arrêter et la conduire à Rome. Soit qu’on eût négligé ces ordres, ou qu’elle sut les éluder, elle arriva sans obstacle dans la capitale du monde chrétien, où les nouvelles maximes avaient déjà pénétré et donné naissance à quelques clubs secrets. La prophétesse y prononça des discours et contre le pape, et contre tout le clergé non assermenté. Elle avait voulu planter sa chaire dans un des plus vastes emplacements de Rome, la place Navone, mais elle fut arrêtée et enfermée au château Saint-Ange. La prophétesse française y occupait une chambre commode, où on lui avait permis de garder une suivante. En 1796, le Directoire demanda à la cour de Rome l’élargissement de mademoiselle Labrousse, ce qui fut accordé sur-le-champ ;mais elle ne voulut pas quitter sa prison, alléguant qu’en y restant, elle obéissait à une inspiration céleste. Elle changea néanmoins d’avis deux ans après, lorsque les troupes françaises s’emparèrent de Rome et, se rappelant les suites fâcheuses de ses prédications, elle se condamna à la retraite, composa des ouvrages mystiques et commenta la Bible et l’Apocalypse. Mademoiselle Labrousse conserva ses liaisons avec M. Pontard jusqu’à sa mort, arrivée en 1821, à l’âge de 74 ans. Elle avait nommé son ancien ami pour son exécuteur testamentaire, et lui laissait 3,000 fr. qui lui ont été contestés par la famille de la défunte, ce qui a donné lieu à un procès devant les tribunaux.