Antoinette DESHOULIERES
DESHOULIÈRES (Antoinette DU LIGIER DE LA GARDE, Mme), femme poète française, née vers 1637 à Paris, morte le 17 février 1694. Elevée avec soin, elle apprit le latin, l'italien, l'espagnol, étudia l'art des vers sous la direction du poète Jean Hesnault, et plus tard la philosophie dans les ouvrages de Gassendi. Sa beauté et l'agrément de son esprit ne contribuèrent pas moins que ses connaissances à la faire rechercher dans le monde de la cour. Ayant quitté la France, à l'époque de la Fronde, pour rejoindre à Bruxelles son mari qui y avait suivi le prince de Condé, elle fut, de la part de celui-ci, l'objet d'hommages dont sa réputation ne reçut point d'atteinte. La vivacité avec laquelle elle réclama du gouverneur espagnol les appointements arriérés de son mari la fit emprisonner au château de Vilvorde. Son mari, à la tête de quelques soldats, força le château et la délivra. Ils rentrèrent en France, où une amnistie devait d'être proclamée. Bientôt après, Mme Deshoulières, sous le nom d'Amaryllis que lui donna le chevalier de Grammont, joua un rôle dans la littérature. Elle commença, en 1672, à publier des vers dans le Mercure galant, et ne tarda pas à prodiguer les idylles, les églogues, les odes, les épîtres, les chansons, les madrigaux, les bouts-rimés, etc. Elle aborda aussi, mais sans succès, le théâtre, fit jouer Genséric et Jules-Antoine, déplorables tragédies, les Eaux de Bourbon, comédie fort médiocre, et l'opéra de Zoroastre quoi ne valait pas mieux. Ce sont principalement ces ouvrages qui témoignent du manque de goût dont on trouve aussi la preuve dans sa partialité contre Racine et son zèle pour la Phèdre de Pradon. On l'excuse en rappelant qu'elle était d'accord, en ce point, avec Mme de Sévigné, que, de plus, elle datait de la Fronde et appartenait toute à Corneille. On lui attribua le premier des fameux sonnets sur Phèdre, produits sous le nom du duc de Nevers. Boileau, pour venger son ami et le goût, fit dans sa dixième satire ce portrait d'Amaryllis :
C'est une précieuse,
Reste de ces esprits, jadis si renommés,
Que d'un coup de son art Molière a diffamés.
De tous leurs sentiments cette noble héritière
Maintient encore ici leur secte façonnière.
Mme Deshoulières conserve, en effet, les modes raffinées de sentiments, de raisonnement, d'esprit et de style propres à l'hôtel de Rambouillet ; J.-B. Rousseau lui reproche une facilité languissante, une fadeur molle et puérile. Cependant Voltaire a dit d'elle : "De toutes les âmes françaises qui ont cultivé la poésie, c'est celle qui a le plus réussi, puisque c'est celle dont on a retenu le plus de vers." Il est certain que ses Idylles ont de la grâce, de l'élégance, souvent du naturel. Celle de Moutons est une délicate allusion à son triste état de fortune. On a prétendu qu'elle l'avait empruntée à un poète fort inconnu, Antoine Coutel. Il est vrai que celui-ci publia, vers 1661, à Blois, ses Promenades , où le morceau intitulé l'Indolence, a beaucoup de rapport avec l'Idylle de Mme Deshoulières, qui ne parut qu'en 1674, mais qui depuis longtemps avait couru manuscrite les salons et le monde. Dans tous les cas, il reste sans contestation à Mme Deshoulières la supériorité de la forme. Elle fut tirée, en 1688, de la pauvreté dont ses vers témoignent, par une pension de 2000 livres que lui fit le roi. Les critiques dont elle fut l'objet n'étaient rien en comparaison des louanges de ses admirateurs, qui l'appelaient "la dixième Muse , la Calliope française". Elle jouit de l'amitié d'hommes d'un haut mérite, parmi lesquels Fléchier, Pellisson, Corneille, La Monnoye, les ducs de La Rochefoucauld, de Nevers, de Montausier, etc. Elle fit partie de l'Académie des Ricovrati de Padoue et de l'Académie d'Arles. Ses Œuvres (Paris, 1687, 1695, in-8) ont eu de nombreuses éditions parmi lesquelles on estime principalement celles de 1747 (2 vol. in-12) et de 1799 (2 vol. in-8)